2.06.2009

miss Willis fr











Retour à bord du beau bateau, cap sur Ziguinchor. Après quelques jours de confort et de luxe relatif à Dakar, je terminais cet épisode urbain par une assez glamoureuse et conclusive croisière. Je suis resté longtemps hypnotisé sur le pont supérieur, à fixer les dernières lueurs déclinantes de Dakar dans la fraîche nuit naissante, lentement avalées par la mer sombre. Sorti de ma torpeur, j’ai regardé les autres passagers. Beaucoup d’Européens : allemands, espagnols, hollandais, britanniques, français, presque la moitié de la population à bord, la saison bat son plein.

Le vent plutôt froid dans la nuit avancée m’a poussé vers le pont abrité du niveau inférieur. Je reconnus la silhouette d’une jeune femme française que j’avais déjà vue sur ce bateau. En fait c’était la troisième fois ; nous avions déjà échangé quelques mots rapides. Nous étions seuls sur ce pont inférieur, et il aurait été vraiment stupide de ne pas engager la conversation, même si je n’étais pas d’humeur à parler. Son regard bleu filtré par de fines lunettes était pénétrant et direct. Physique agréable, sans être sophistiqué, mais tout en elle, de la pointe de sa queue-de-cheval blonde, jusqu’aux ongles non peints de ses mains élégantes, respirait la finesse et la délicatesse. Même si j’étais réticent de prime abord, je finis par me complaire dans cette conversation. Elle est au Sénégal depuis 2006, partage son temps entre Dakar et Zig en travaillant pour une ONG qui s’occupe entre autres de micro-crédit. Très souvent en voyage, toujours en bateau, on lui a un temps donné le surnom « Miss Willis», nom du précédent bateau qui faisait la traversée. Un de ces tours chimiques de mon cerveau moqueur a fait contre mon gré, de ce lieu commun, un moment agréable et presque familier. Nous sommes entrés à l’intérieur, voir si l’on y jouait un film, nous avons parlé encore un peu jusqu’à ce qu’elle me délivre de ce sort. Ouf ! merci ! je suis pas prêt pour ça maintenant. Mais prêt pourquoi ? Ne sois pas stupide, il n’y a rien du tout, tu ne la connais même pas ! elle est sympa c’est tout.

Le lendemain matin, de retour sur le pont supérieur, complètement enveloppé par le vent chaud de Casamance, j’en reconnus l’odeur, et aussi bizarre que cela puisse paraître, je me suis senti chez moi. J’en fus surpris, et je m’efforçais de prendre de la distance. Avais-je raison ? Je détournais la tête et aperçu Miss Willis qui lisait à tribord. Juste à cet instant, elle posa son livre laissé ouvert sur ses genoux, leva la tête et regarda vers moi en me lançant un sourire élégant. J’ai alors traversé le pont pour aller m’asseoir à côté d’elle. Nous n’avons pas beaucoup parlé cette fois, mais j’avais toujours ce même sentiment de familiarité. Combinée avec l’odeur reconnue, la sensation d’être chez moi devint plus forte. Zig est là ! salut ! à bientôt ! Je m’extirpe de la petite foule exigeante à la sortie du port, pour sauter dans un taxi, direction la petite maison rouge.

Les voisins m’ont accueilli avec chaleur et discrétion. Ils ont envoyé une petite fille qui m’a apporté un délicieux tiepoudien (riz, poisson et légumes). Je suis à la maison, je me sens bien, seul, sans aucun confort, je suis heureux.

Mon téléphone glisse sur la natte, en vibrant et grognant péniblement. Mauvaise nouvelle, le budget pour le transport du matos est sous-évalué. Nous devons attendre la vente des marchandises apportées récemment par Pascal. Attendre encore. Je m’y suis préparé. En d’autres temps, cette nouvelle m’aurait salement affecté, mais quelque chose a changé, J’ai pu l’avoir ressenti sans en avoir été conscient. Ce coup de téléphone m’a fait réalisé combien ma foi était devenue profonde. Dois-je arrêter d’écrire ce blog en attendant l’arrivée du matériel ? Non ! Je dois continuer. De nos jours, on ne nous montre que des gens qui ont déjà réussi. C’est simple, la vie est faite pour les gagnants ! Mais une crise majeure est en cours pour nous aider à réajuster nos préjugés. La vie est probablement dure pour tout le monde, du magnat au mendiant ; il nous en coûte beaucoup pour réaliser nos rêves et donner du sens à nos vies. Je ne suis pas dans une position très confortable ; je dois me faire discret autant que possible. Miss Willis m’a approché et m’a gentiment envoyé des contacts intéressants, mais je dois encore attendre quelque temps même pour aller la voir. Mon cerveau avec ses fameux tours me pousse à l’appeler, mais une voix faible et lointaine me chuchote de rester tranquille et d’attendre. Je suis donc seul, et silencieux, comme si je me préparais au combat. Je me remplis de sensations naturelles pour les recycler en musique et en mots. De grandes marches, Je m’intoxique et m’enivre de nature en suivant mes sens. Miss Willis va rentrer demain à Dakar, et je ne sais pas si je la reverrai un jour. J’aimerais bien.






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